Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans hésitation, le punir, l’humilier, au moins se venger un peu du mal qu’il lui avait fait. Elle continuait à dire qu’elle allait le quitter, mais, au fond, elle se rendait compte que c’était impossible. C’était impossible parce qu’elle ne pouvait se déshabituer de le regarder comme son mari et de l’aimer. En outre, elle sentait que si chez elle, dans sa maison, elle arrivait à peine à soigner ses cinq enfants, cela lui serait encore plus difficile là où elle voulait s’en aller. Depuis trois jours le plus jeune était souffrant parce qu’on lui avait mal préparé sa bouillie, et la veille, les autres avaient à peine pu dîner. Elle sentait que son départ ne pouvait avoir lieu ; néanmoins, se leurrant elle-même, elle continuait ses préparatifs, s’en donnant ainsi l’illusion.

Quand elle aperçut son mari, elle plongea les mains dans le tiroir du chiffonnier comme pour y chercher quelque chose et se retourna seulement quand il fut très près d’elle. Son visage auquel elle s’efforcait de donner une expression de sévérité n’exprimait que la souffrance et l’abattement.

— Dolly ! fit-il d’une voix douce et timide. Et enfonçant sa tête dans les épaules, il cherchait une contenance humble et soumise, mais ne parvenait pas à atténuer son apparence de fraîcheur et de parfaite santé.

D’un regard rapide, elle le toisa des pieds à la tête.

— « Oui, pensa-t-elle, il est heureux et satisfait.