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Elle se sentait si criminelle et si coupable qu’il ne lui restait qu’à s’humilier et à demander pardon ; maintenant, sauf lui, il ne lui restait personne, et elle lui adressait sa prière de pardon. En le regardant elle sentait physiquement sa propre humiliation et ne pouvait rien dire de plus.

Lui, de son côté éprouvait une sensation semblable à celle de l’assassin en présence du corps inanimé de sa victime. Ce corps immolé par eux c’était leur amour. La honte qu’elle éprouvait devant sa nudité morale l’opprimait et se communiquait à lui. Mais malgré toute l’horreur du meurtrier en face du cadavre, il fallait dépecer ce corps, le cacher, tirer profit de ce meurtre.

Ainsi que l’assassin, emporté par la brutalité de la passion, se jette sur le corps de sa victime, le traîne et le met en pièces, de même il couvrait de baisers le visage et les épaules d’Anna. Elle, le tenait par les mains et restait immobile.

« Oui, pensait-elle, ces baisers sont le prix de la honte. Oui, cette main qui serre la mienne est celle de mon complice. »

Elle prit cette main et la baisa. Il tomba à genoux et voulut voir son visage, mais elle le cachait et gardait le silence. Enfin, faisant un effort sur elle-même, elle se leva et le repoussa. Son visage était toujours beau mais on ne pouvait le regarder sans la plaindre.