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avec sa pelisse déchirée, peut croire que c’est un homme perdu, mais moi qui le connais autrement, qui ai sondé le fond de son âme, je sais que nous nous ressemblons. Et cependant, au lieu de m’empresser de me rendre auprès de lui je suis allé dîner, et ensuite à cette soirée. » Lévine s’approcha d’un réverbère, lut l’adresse de son frère qu’il avait dans son portefeuille et appela un cocher. Durant tout le trajet, Lévine repassait dans sa tête les événements qu’il connaissait de la vie de son frère Nicolas. Il se rappelait comment, étant à l’Université et une année après l’avoir quittée, son frère, malgré les railleries de ses camarades, vivait en cénobite, observant strictement toutes les prescriptions de la religion, assistant aux services, pratiquant les jeûnes, évitant tous les plaisirs, fuyant surtout les femmes. Puis tout d’un coup, un revirement s’était produit en lui, il s’était mis à fréquenter les gens les plus vils, à s’adonner à la débauche la plus crapuleuse. Il se rappelait aussi comment, ayant pris à la campagne un jeune garçon pour l’élever, il l’avait un jour, dans un accès de fureur, tellement battu, que les parents avaient dû lui faire un procès ; c’était ensuite l’histoire de ce grec qui lui fit perdre tant d’argent, lui fit signer des billets à ordre, et déposa alors contre lui, entre les mains du procureur, une plainte en escroquerie (c’étaient ces billets que payait Serge Ivanitch) ; puis il se souvenait que son frère avait une fois passé la nuit au poste pour