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sœur, elle avait cependant tout préparé pour la recevoir et c’est avec émotion qu’elle attendait sa belle-sœur. Dolly était écrasée par sa douleur qui l’absorbait tout entière… Néanmoins elle se rappelait qu’Anna, sa belle-sœur, était la femme d’un des personnages les plus importants de Russie et une grande dame de Pétersbourg. Aussi, contrairement à ce qu’elle avait dit à son mari, elle n’oublia pas l’arrivée de celle-ci : « En somme, Anna n’est nullement coupable… pensait-elle. Je ne puis dire que du bien d’elle, et elle s’est toujours montrée envers moi tendre et affectueuse. » Il est vrai qu’autant qu’elle pouvait analyser son impression, à Pétersbourg, l’intérieur des Karénine ne lui avait pas plu ; il y avait quelque chose de faux dans leur vie de famille. « Mais pourquoi donc ne la recevrais-je pas ? Pourvu seulement qu’elle n’essaye pas de me consoler, pensait Dolly. Toutes les consolations, toutes les exhortations au pardon que prescrit la religion chrétienne, j’y ai déjà mille fois pensé, mais en vain. »

Tous ces derniers jours Dolly était restée seule avec ses enfants. Elle ne pouvait parler de sa douleur à personne et cependant dans son chagrin elle ne pouvait avoir de conversation sur d’autres sujets. Elle savait que d’une façon ou de l’autre elle dirait tout à Anna, et si d’un côté elle se réjouissait à la pensée de tout lui raconter, d’un autre, elle était contrariée de la nécessité de parler