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Nous nous nourrissions de pain et d’eau. Chez nous il n’y avait personne pour travailler : ma mère se plaignait toujours du ventre, grand’mère avait toujours mal à la tête et faisait la cuisine ; seule ma sœur aînée travaillait, et avec son argent s’achetait des habits, elle se préparait à se marier. Je me rappelle que ma mère devint plus malade et qu’ensuite elle eut un garçon. On posa ma mère dans le vestibule, grand’mère emprunta aux voisins du gruau et envoya l’oncle Néfède chercher le prêtre, et ma sœur partit inviter les paysans au baptême.

Les gens s’assemblèrent. On apporta trois grands pains. Les parents se mirent à disposer des tables et les couvrirent de serviettes. Puis on apporta des bancs et un baquet d’eau. Et tous s’assirent à leur place. Quand le prêtre fut rendu, les parrains s’installèrent devant, et derrière se plaça la tante Akoulina avec l’enfant. On se mit à réciter des prières. Ensuite on prit l’enfant, et le prêtre le plongea dans l’eau. Je fus effrayé et criai : « Donne l’enfant ! » Grand’mère se fâcha après moi et me dit : « Tais-toi ou je te battrai. » Le prêtre plongea trois fois l’enfant et le rendit à la tante Akoulina. Celle-ci l’enveloppa dans du calicot et le porta à la mère dans le vestibule. Ensuite, tous se mirent devant les tables. Grand’mère posa deux grandes terrines de gruau, y versa de l’huile et en offrit aux invités. Quand tous eurent mangé ils sortirent de table, remercièrent grand’mère et s’en allèrent.

J’allai trouver ma mère et lui dis : « Ma… comment s’appelle-t-il ? «

Ma mère dit : « Comme toi. » L’enfant était maigre ; ses jambes et ses bras étaient minces, et il criait tout le temps. À n’importe quelle heure de la nuit, si on s’éveille, il crie et la mère le berce en chantant. Elle gémit et continue à chanter.