du peuple ont-ils le droit de manger de la viande ?
c’est-à-dire ont-ils le droit de satisfaire leurs
besoins humains ? Or il ne s’agit pas de cela. La
question est celle-ci : cette viande que nous leur
proposons ou que nous leur défendons est-elle
bonne ou non ? De même qu’en proposant au peuple
certaines connaissances que nous possédons et
observant la mauvaise influence qu’elles produisent
sur lui, je n’en conclus pas que le peuple est mauvais
et qu’il n’est pas encore prêt à accepter ces
connaissances et à en jouir comme nous-mêmes,
mais j’en conclus que ces connaissances ne sont
pas bonnes, ne sont pas normales, et qu’il nous
faut, avec l’aide du peuple, en élaborer de nouvelles
qui conviendront à tous, à la société et au peuple.
J’en conclus seulement que ces connaissances et
ces arts vivent parmi nous et ne nous paraissent
pas nuisibles, mais qu’ils ne peuvent vivre parmi
le peuple et lui semblent nuisibles parce qu’ils ne
présentent pas une nécessité générale. Ils ne nous
conviennent que parce que nous sommes gâtés ; ils
nous conviennent par la même cause qui fait que
ceux qui passent cinq heures par jour dans leurs
fabriques ou débits empoisonnés ne souffrent pas
de ce même air qui tue un homme sain, nouveau
venu. On objectera : Qui a dit que les connaissances
et les arts de la classe instruite sont faux ?
Parce que le peuple ne les accepte pas, pourquoi
conclure à leur fausseté ? Toutes ces questions se
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