dans la classe d’histoire, j’ai conseillé au maître de
faire quitter aux élèves leurs bancs, mais ce conseil
était regardé par le maître comme une originalité
amusante et pardonnable. (Je sais d’avance que
ce conseil sera reçu de la même façon par la majorité
des lecteurs.) Et jusqu’au retour du vieux
maître l’ordre fut maintenu, et dans le journal
du nouveau parurent des notes de ce genre :
« Je n’ai pu obtenir un seul mot de Savine. Grichine
n’a rien su raconter. L’entêtement de Petka
m’étonne : il n’a pas dit un mot. Savine est encore
pire qu’autrefois, etc. » Savine, fils d’un postier
ou d’un marchand du village, était un garçon
rougeaud, replet, aux yeux humides, aux longs
cils, chaussé de souliers à son pied et non à ceux
de son père, en blouse et pantalon. Le visage sympathique
et joli de ce garçon m’avait frappé, surtout
parce que, dans la classe d’arithmétique, il était
le premier par l’imagination et l’entrain. Il lisait et
écrivait aussi convenablement. Mais dès qu’on l’interrogeait
il penchait de côté sa jolie tête, les larmes
perlaient sur ses longs cils, il paraissait vouloir se
cacher de tous et l’on voyait qu’il souffrait beaucoup.
On le force à répondre, il raconte, il récite, mais
raconter d’une façon originale, il ne le peut pas ou
il n’ose pas. Etait-ce la peur imposée par son ancien
maître (il avait étudié auparavant chez un prêtre),
était-ce la défiance en ses propres forces, l’orgueil,
la gêne de sa situation vis-à-vis des autres enfants
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