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lui permettait de bien comprendre, mais il n’admettait pas le beau sans l’utile. Il doutait, comme il arrive souvent aux hommes de grande intelligence qui sentent que l’art est la force mais ne trouvent pas en leur âme le besoin de cette force. Lui, comme eux, voulait arriver à l’art par l’intelligence et essayait d’allumer en lui cette flamme : — « Nous chanterons demain la prière, je me rappelle ma partie. » Il avait une très bonne oreille, mais n’avait pas de goût ni d’élégance dans le chant. Tandis que Fedka comprenait tout à fait bien que le tilleul est bon quand il est couvert de feuilles, qu’il est agréable de le regarder, et que cela seul suffit, Pronka comprenait que c’est dommage de le couper, parce que c’est un être vivant : « Quand nous buvons la sève du bouleau, c’est comme si nous buvions du sang. » Siomka ne disait rien, mais il pensait visiblement que le bouleau est peu utile quand il est creux. Ce m’est étrange de me rappeler ce que nous avons dit alors. Mais il me semble que nous avons dit tout ce qu’on peut dire de l’utile, du beau et du bien.

Nous nous dirigeâmes vers le village. Fedka me tenait toujours la main, et il me sembla que c’était maintenant par reconnaissance. Durant cette soirée, nous nous étions plus unis que nous ne l’avions jamais été. Pronka marchait à côté de nous, sur la large route du village : — « Tiens ! il y a encore du feu chez les Mazanov ! dit-il. Aujourd’hui, comme