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et s’éloignent du mal. Cette conclusion tirée, je la contrôle par les faits. Quelle est cette petite partie qui croit au progrès ? C’est celle qu’on appelle la société instruite, selon l’expression de Buckle, les classes oisives. Quelle est cette grande partie qui ne croit pas au progrès ? C’est celle qu’on appelle le peuple, les classes travailleuses. Les intérêts de la société et du peuple sont toujours opposés. Plus une chose est avantageuse pour l’une, plus elle est désavantageuse pour l’autre. Pour le progrès ma proposition se confirme, et j’en conclus que le progrès est d’autant plus avantageux pour la société qu’il est désavantageux pour le peuple. En outre, cette conclusion m’explique parfaitement ce phénomène étrange que, malgré que le progrès ne soit pas la loi générale de l’humanité, qu’il ne conduise pas à l’amélioration du bien-être de toute l’humanité européenne, que les neuf dixièmes du peuple soient opposés au progrès, il continue d’être glorifié et se répand de plus en plus.

Ceux qui croient au progrès y croient franchement parce que cette religion est avantageuse pour eux, et c’est pourquoi ils la propagent avec opiniâtreté et cruauté. Involontairement je me rappelle la guerre chinoise pendant laquelle trois puissances, avec franchise et cruauté, par la poudre et les obus, introduisirent en Chine la foi au progrès. Mais est-ce que je ne me trompe pas ? Voyons en quoi le progrès peut recéler l’avantage de la société