Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol13.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien-être, plus nous avançons, plus le bien-être grandit. On tire de là la conclusion qu’il suffit à l’activité fertile d’agir conformément aux conditions historiques et que, selon la loi du progrès, toute action historique mènera à l’augmentation du bien-être général, c’est-à-dire sera bonne ; que toute tentative en vue d’arrêter ou même de contrarier le mouvement historique est inutile. Cette conclusion est illégitime parce que la seconde proposition sur l’amélioration continue de l’humanité dans la voie du progrès n’est prouvée par rien et n’est pas juste.

Dans toute l’humanité, de temps immémorial, on constate le progrès, dit l’historien qui croit au progrès, et il tâche de prouver cette proposition en comparant, par exemple, l’Angleterre de 1685 à l’Angleterre actuelle. Mais si même on comparait la Russie, la France et l’Italie contemporaines avec la Rome antique, la Grèce, Carthage, si l’on pouait prouver que le bien-être des peuples nouveaux est plus grand que celui des peuples anciens, je n’en serais pas moins frappé de ce phénomène incompréhensible. On tire une loi générale pour toute l’humanité de la comparaison d’une petite partie de l’humanité, en Europe, dans son passé et son présent. Le progrès est la loi générale de l’humanité, disent-ils, seulement cela ne s’applique pas à l’Asie, à l’Afrique, à l’Amérique, à l’Australie, c’est-à-dire pour un milliard d’hommes. Nous avons observé la