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ce que pensait Pierre, c’est-à-dire : Si tu veux manger, nous t’en donnerons, dis seulement si tu es un brave homme.

— Moi ? moi ?… fit Pierre qui sentit la nécessité de diminuer le plus possible sa position sociale afin d’être plus près des soldats et mieux compris d’eux. À vrai dire, je suis un officier de la milice, seulement mon détachement n’est pas ici. Je suis arrivé à la bataille et j’ai perdu les miens là-bas.

— Tiens ! fit un des soldats.

Un autre hocha la tête.

— Eh bien, quoi ! mange une bouchée si tu veux, dit le premier ; et il passa à Pierre une cuiller de bois qu’il lécha auparavant.

Pierre s’assit près du feu et se mit à manger la soupe qui était dans la marmite ; il lui sembla n’avoir jamais mangé rien d’aussi bon. Pendant qu’il se penchait avidement sur la marmite, pour prendre de grandes cuillerées qu’il avalait sans s’arrêter, son visage étant éclairé par le feu, les soldats l’examinaient en silence.

— Où vas-tu, dis donc ? lui demanda un des soldats.

— Je vais à Mojaïsk.

— Tu es donc un monsieur ?

— Oui.

— Et comment t’appelles-tu ?

— Piotr Kyrilovitch.

— Eh bien, Piotr Kyrilovitch, allons ; nous te conduirons.