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faite à Borodino était mortelle ou non, depuis un mois déjà trottait dans la tête de Koutouzov. D’une part les Français occupaient Moscou, d’autre part, Koutouzov sentait par tout son être que ce coup terrible, dans lequel lui avec tous les Russes avaient mis toute leur force, devait être mortel. Mais en tout cas, il fallait des preuves et il les attendait depuis un mois, et plus le temps passait, plus il devenait impatient.

Couché sur son lit, durant ses nuits sans sommeil, il faisait ce qu’il reprochait à ses jeunes généraux : il envisageait le plus possible de hasards, mais avec cette différence qu’il ne basait rien sur ses hypothèses et qu’il n’en voyait pas deux ou trois, mais des milliers. Plus il réfléchissait, plus il en voyait. Il inventait des mouvements de toutes sortes de l’armée de Napoléon, de toute l’armée ou d’une partie : à Pétersbourg, sur lui, derrière lui. Il admettait (ce qu’il craignait le plus) que Napoléon luttât contre lui avec ses propres armes, qu’il restât à Moscou à l’attendre ; Koutouzov envisageait même le retour de l’armée de Napoléon sur Médine et Iouknov ; la seule chose qu’il ne pouvait prévoir, c’était ce qui arrivait : le mouvement fou, convulsif de l’armée de Napoléon pendant les onze jours qui suivirent sa sortie de Moscou, mouvement qui rendait possible ce à quoi Koutouzov n’osait encore penser : la destruction complète des Français.

Le rapport de Dokhtourov sur la disposition de