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Karataïev avait probablement plus de cinquante ans, à en juger par ses récits des campagnes auxquelles il avait pris part. Il ne savait lui-même et ne pouvait définir son âge, mais ses dents fortes et blanches qu’il montrait toutes quand il riait, ce qu’il faisait souvent, étaient belles et bien conservées ; ni ses cheveux ni sa barbe n’avaient un seul poil blanc, et tout son corps avait l’air élastique, ferme et résistant.

Son visage, malgré de petites rides arquées, avait une expression d’innocence et de jeunesse ; sa voix était agréable et chantante, mais la particularité principale de ses paroles était la franchise et l’accommodement. Évidemment il ne pensait jamais à ce qu’il disait et allait dire, c’est pourquoi dans la rapidité et la fermeté de ses intonations se montrait une conviction inébranlable.

Sa force physique, son entraînement étaient tels, les premiers temps qu’il fut fait prisonnier, qu’il paraissait ne pas comprendre ce qu’étaient la fatigue et la maladie. Chaque jour, le matin et le soir en se couchant, il disait : « Dieu, fais-moi dormir comme une pierre, lève-moi comme le pain. » Le matin, en se levant, il disait toujours, en secouant les épaules : « Je me suis couché, je me suis enroulé, je me suis levé, je me suis redressé. » En effet, aussitôt couché, il s’endormait comme une pierre, aussitôt levé, sans perdre une seconde, il se mettait à quelque besogne, comme les enfants