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voix tendre que Pierre entendit. Elle est revenue, elle s’est rappelée ! Eh bien, assez, assez !

Et le soldat, en repoussant un petit chien qui tournait autour de lui, se mit à sa place et s’assit. Il avait dans ses mains un objet entouré d’un torchon.

— Voilà, monsieur, mangez, dit-il, reprenant de nouveau son ton respectueux et donnant à Pierre quelques pommes de terre bouillies. Les pommes sont excellentes.

Pierre n’avait pas mangé de la journée et l’odeur des pommes lui parut extraordinairement agréable. Il remercia le soldat et se mit à manger.

— Pourquoi manges-tu comme ça ? fit le soldat en souriant. Il prit une pomme : — Fais comme ça.

Il sortit de nouveau son couteau, dans sa main coupa la pomme en deux parties égales, y jeta du sel de son torchon et l’offrit à Pierre.

— D’excellentes pommes de terre, répéta-t-il. Mange comme ça.

Il semblait à Pierre n’avoir jamais mangé plat meilleur.

— Non, pour moi, ça m’est égal, dit Pierre, mais pourquoi ont-ils fusillé ces malheureux ? Le dernier n’avait pas vingt ans !

— Ts… ts… ts… fit le petit homme. Combien de péchés ! combien de péchés !… ajouta-t-il rapidement, et comme si les paroles étaient toujours prêtes dans sa bouche et partaient au hasard, il continua :