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ils ne pouvaient donc aller se battre avec l’assurance de la défaite. Que Benigsen insistât pour défendre cette position et les autres pour la critiquer cela n’avait déjà plus d’importance, ce n’était plus qu’un prétexte aux querelles et aux intrigues. Koutouzov le comprenait.

Benigsen, en s’arrêtant à cette position et montrant ardemment son patriotisme (ce que Koutouzov ne pouvait entendre sans froncer les sourcils), insistait sur la défense de Moscou. Koutouzov voyait clairement le but de Benigsen : en cas d’insuccès, en rejeter la responsabilité sur Koutouzov qui avait amené les troupes jusqu’à la montagne des Moineaux sans livrer bataille ; en cas de succès, se l’attribuer, et, en cas de recul, se justifier du crime d’avoir abandonné Moscou. Mais à ce moment les questions d’intrigue n’occupaient pas le vieil homme. Une autre question terrible l’occupait, et de personne il n’en attendait la réponse.

Maintenant il se demandait : « Est-ce moi qui ai laissé venir Napoléon jusqu’à Moscou, et quand l’ai-je fait ? Quand cela s’est-il accompli ? Est-ce hier quand j’ai envoyé à Platov l’ordre de reculer, ou avant-hier soir quand j’ai sommeillé et chargé Benigsen de donner des ordres, ou est-ce arrivé auparavant ? Mais quand, quand s’est décidée cette chose terrible ? Moscou doit être abandonnée ; les troupes doivent reculer, il faut donner cet ordre. » Donner cet ordre lui semblait aussi