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gnon et se trouvait près de lui. Son âme n’était pas dans son état normal : L’homme bien portant, ordinairement, pense, sent et se rappelle simultanément un nombre incalculable d’objets, et il a le pouvoir et la force de choisir une série d’idées ou de phénomènes et d’y arrêter toute son attention. L’homme bien portant, au milieu de la réflexion la plus profonde s’en détache pour dire un mot poli à la personne qui entre et retourne de nouveau à ses idées. Or l’âme du prince André était sous ce rapport dans un état anormal. Toutes les forces de son âme étaient plus actives, plus claires que jamais, mais elles agissaient en dehors de sa volonté. Les idées et les représentations les plus diverses s’emparaient de lui simultanément. Parfois, sa pensée commençait à travailler avec une force, une clarté, une profondeur dont elle était incapable à l’état normal, mais tout à coup, au milieu de son travail, elle s’évanouissait, faisait place à une image quelconque, imprécise, et il ne lui était plus possible de la retrouver.

— « Oui, un nouveau bonheur m’est révélé — pensait-il, couché dans l’isba à demi obscure, et regardant devant soi, les yeux fiévreux, grands ouverts ; le bonheur qui se trouve en dehors des forces physiques, en dehors des influences extérieures, le bonheur de l’âme, le bonheur de l’amour ! Chaque homme peut le comprendre, mais le reconnaître et le prescrire, Dieu seul le peut. Mais com-