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J’en ai assez, voyez-vous, des balles dans le corps. En voilà une, (il montra le côté) à Wagram et deux à Smolensk (il indiqua la cicatrice qui marquait sa joue.) Et cette jambe, comme vous voyez, qui ne veut pas marcher, c’est à la grande bataille du 7, à la Moscova, que j’ai reçu ça. Sacré Dieu, c’était un déluge de feu. Vous nous en avez taillé une rude besogne ; vous pouvez vous en vanter, nom d’un petit bonhomme. Et ma parole, malgré la toux que j’y ai gagnée, je serais prêt à recommencer. Je plains ceux qui n’ont pas vu ça.

J’y ai été, dit Pierre.

Bah ! vraiment ? Eh bien, tant mieux. Vous êtes de fiers ennemis tout de même. La grande redoute a été tenace, nom d’une pipe ! Et vous nous l’avez fait crânement payer. J’y suis allé trois fois tel que vous me voyez. Trois fois nous étions sur les canons et trois fois on nous a culbutés comme des capucins de cartes. Oh ! c’était beau, monsieur Pierre, vos grenadiers ont été superbes, tonnerre de Dieu ! Je les ai vus six fois de suite serrer les rangs et marcher comme à une revue. Les beaux hommes ! Notre roi de Naples qui s’y connaît a crié : bravo ! Ah ! Ah ! soldat comme nous autres, dit-il en souriant après un moment de silence. Tant mieux, tant mieux, monsieur Pierre. Terribles en bataille… galants… il cligna des yeux en souriant, avec les belles, voilà les Français, monsieur Pierre, n’est-ce pas ?