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gent dans des villages pour que le nombre des incendies y augmente aussitôt. À quel degré devaient donc augmenter les chances d’incendie dans une ville bâtie en bois, vide, occupée par une armée étrangère ? Le patriotisme féroce de Rostoptchine et la sauvagerie des Français ne sont ici pour rien. Moscou a brûlé à cause des pipes, des cuisines, des bûchers, du manque de soin des soldats étrangers, des habitants qui n’étaient pas propriétaires des maisons. Même s’il y eut des incendiaires (ce qui est très douteux, parce que personne n’avait de motif d’incendier, et, en tout cas, c’était très dangereux), on ne peut les mettre en cause, parce que sans eux, c’eût été la même chose. Si flatteur que ce soit pour les Français d’accuser la férocité de Rostoptchine et pour les Russes la barbarie de Bonaparte et de mettre un flambeau héroïque aux mains de son peuple, on ne peut se dispenser de voir qu’une pareille cause immédiate d’incendie ne pouvait exister, car Moscou devait brûler, comme doit brûler toute ville, fabrique ou maison, d’où les maîtres sont partis et où l’on introduit, pour y vivre, des gens étrangers. Moscou fut brûlée par les habitants, c’est vrai, mais par ceux qui en partirent et non par ceux qui y restèrent. Moscou restée à l’ennemi n’est pas demeurée intacte comme Berlin, Vienne, etc., par cela seul que ses habitants ne donnèrent pas le pain, le sel et les clefs aux Français, mais quittèrent la ville.