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toujours tenu dans les hautes sphères de l’administration, malgré son sentiment patriotique, n’avait pas la moindre idée de ce peuple qu’il pensait gouverner. Depuis que l’ennemi était entré à Smolensk, Rostoptchine, dans son imagination, prenait le rôle de guide du sentiment populaire du cœur de la Russie. Non seulement il lui semblait (comme il semble à chaque administrateur) qu’il gouvernait les actes extérieurs des habitants de Moscou, mais qu’il guidait leurs sentiments par ses appels et ses affiches écrits dans cette langue artificielle que le peuple, dans son milieu, méprisait et qu’il ne comprenait pas quand il l’entendait de haut.

Le beau rôle de guide du sentiment populaire plaisait tant à Rostoptchine, il s’en accommodait si bien que la nécessité de sortir de ce rôle, la nécessité d’abandonner Moscou sans aucun éclat héroïque, le prenait à l’improviste, et tout d’un coup, le terrain sur lequel il se trouvait glissait sous ses pieds et il ne savait absolument pas qu’entreprendre. Il savait que Moscou serait abandonnée, mais jusqu’au dernier moment, il n’y pouvait croire et ne s’y préparait pas.

Les habitants partaient malgré son désir. Si l’on déménageait les administrations, c’était seulement sur le désir des fonctionnaires, et le Comité ne l’acceptait pas volontiers ; et lui-même n’était occupé que du rôle qu’il s’était attribué. Comme il