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en France, serait de nature à paralyser, en Afrique, l’industrie des terres, qui y est l'industrie-mère. Dans un pays nouveau, les cultivateurs sont mobiles ; on connaît mal leur histoire, leur fortune et leurs ressources ; ils n’ont donc qu’un moyen d’obtenir le capital qui leur manque : c’est d’engager la terre qu’ils exploitent, et ils ne peuvent l’engager qu’autant que la législation permet au prêteur de s’en mettre en possession en très-peu de temps et à très-peu de frais. On peut dire, d’une manière générale, que les formalités de la vente immobilière doivent être d’autant plus simples et plus promptes, que la société est plus nouvelle. En Algérie, elles sont encore très-compliquées et très-lentes ; aussi le cultivateur y a-t-il beaucoup plus de peine que celui de France à se procurer l’argent nécessaire, et est-il obligé de le payer infiniment plus cher. Toutes les causes que nous venons d’indiquer sommairement contribuent à rendre en Afrique la production difficile et chère ; cette circonstance n’empêcherait pourtant pas de produire, s’il existait des débouchés faciles pour les produits.

Ce qui rend, en général, si pénibles les commencements de toutes les colonies, c’est l’absence ou l’éloignement des marchés. Les produits deviennent abondants avant que la consommation environnante puisse être grande ; après les avoir créés, on ne sait à qui les vendre. Les colons de l’Algérie se trouvent, sous ce rapport, dans une condition économique très-supérieure à celle de la plupart des Européens qui ont été fonder au loin des colonies. La France, en même temps qu’elle les plaçait sur le sol, apportait artificiellement, à côté d’eux, un grand centre de consommation, en y amenant une partie de son armée.

Au lieu de tirer de ce fait les conséquences immenses qu’il aurait pu produire dans l'intérêt d’une prompte colonisation du pays, le Gouvernement l’a rendu presque inutile. Jusqu’à présent, l’administration de l’armée n’a paru préoccupée que du désir d’obtenir les denrées du colon au plus bas paix possible. Ainsi, tandis qu’on faisait de grands sacrifices pour établir des cultivateurs, on refusait de rendre la culture profitable. Il est permis de dire, messieurs, que cela était peu sensé, et que l’argent qui eût servi à assurer aux produits du colon d’Afrique un prix régulier et rémunérateur, eût été plus utile à la France et aux colons eux-mêmes, que celui qu’on a répandu en secours dans les villages.