Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/510

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans les uns, on s’est borné à fournir aux colons, indépendamment du sol, des secours pour bâtir leurs maisons et pour défricher leurs terres. Dans d’autres, l’État a été plus loin : il a bâti lui-même les maisons et a défriché une partie du sol ; quelques villages ont été fondés à l’entreprise, c’est-à-dire que l’État a accordé certains privilèges ou a donné certains secours à un particulier qui s’est chargé d’y établir les habitants. Enfin, dans les trois villages de Fouca, de Mahelma et de Beni-Mered, la plus grande partie de la population a été composée de colons sortis de l’armée, ou de soldats soumis encore aux lois militaires. Nous reviendrons sur ce dernier fait pour l’examiner à part.

Au fond de ces diversités extérieures, les mêmes idées se retrouvent partout.

L’État ne s’est borné nulle part à faire les seules dépenses d’utilité publique, à élever les fortifications, à fonder les églises, les écoles, à établir les routes. Il a été plus loin : il s’est chargé de faire prospérer les affaires des particuliers, et il leur a fourni, en tout ou en partie, les moyens de s’établir sur le sol. Les familles qu’il a placées dans les villages appartenaient presque toutes aux classes les plus pauvres de l’Europe. Rarement apportaient-elles un capital quelconque. La portion du sol que l’administration leur a distribuée a toujours été très— minime. Ces lots ont rarement atteint et presque amais dépassé dix hectares. Établir aux frais du Trésor une population purement ouvrière sur le sol de l’Afrique, telle semble avoir été la pensée-mère.

La Chambre n’attend pas de nous que nous lui fassions connaître en détail l’histoire de chacun de ces villages. Nous nous bornerons à indiquer, d’une manière générale, les impressions que leur vue suggère.

On a fort exagéré, en parlant d’eux, le bien et le mal. On a dit que tous les hommes qui les habitaient étaient sortis de la lie des sociétés européennes ; que leurs vices égalaient leur misère. Cela n’est pas exact. Si l’on envisage dans son ensemble la population agricole d’Afrique, elle paraîtra tout à la fois au-dessous et au-dessus de la plupart des populations de même espèce en Europe. Elle semblera moins régulière dans ses mœurs, moins stable dans ses habitudes, mais aussi plus industrieuse, plus active et bien plus énergique. Nulle part le cultivateur européen ne s’est mieux et plus