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chercher ici ; c’est de la colonisation agricole surtout que le rapport s’occupe. Tant que nous aurons en Afrique une grande armée, nous y créerons facilement des villes. Amener et retenir sur le sol des populations agricoles, tel est le vrai problème à résoudre. Autour d’Alger, sur une largeur de huit ou dix kilomètres, se trouvent des jardins où la terre, cultivée avec soin, produit immensé-


    spéculation, et dans la création d’une masse énorme de valeurs fictives ou très-exagérées, que le temps a enfin réduites à leur proportion véritable. Il serait difficile de peindre à quels emportements se sont livrés les spéculateurs d’Alger et de Blidah, en matière de maisons. A peine ce qui s’est passé en France en 1825 peut-il en donner une idée. Des terrains qui, jusque-là, ne pouvaient trouver d’acquéreurs, se sont tout à coup vendus presque aussi cher que ceux qu’on achète dans les quartiers les plus riches et les plus populeux de Paris. Sur ce sol nu se sont élevées des maisons magnifiques. Ces terrains étaient achetés non en capital, mais en rentes ; ces maisons étaient bâties, non par la richesse acquise, mais par le crédit. Sur le rez-de-chaussée, on empruntait de quoi élever le premier étage, et ainsi de suite. Les maisons passaient en plusieurs mains avant d’être achevées, le prix en doublait ou en triplait d’un jour à l’autre ; elles se louaient avant qu’on en eût posé le faîte. Quand on n’avait point de gages à donner, on se soumettait à un intérêt prodigieusement usuraire. Comme on voyait dans ces deux villes le nombre des habitants s’accroître sans cesse, on croyait à une prospérité sans limites ; on n’apercevait pas que la plupart des nouveaux arrivants étaient attirés par ce grand mouvement industriel lui-même. La population occupée à bâtir les maisons nouvelles s’installait dans les maisons anciennement bâties et faisait augmenter tous les jours le prix des loyers. Le moment est arrivé où cette prospérité illusoire s’est dissipée, où il a fallu reconnaître la proportion exacte qui se rencontrait entre le capital ainsi engagé et le revenu produit. De ce moment la crise a commencé, et on peut croire qu’elle durera jusqu’à ce que le prix des maisons soit arrivé à représenter exactement, non la valeur fictive et passagère que la spéculation avait donnée aux immeubles, mais leur valeur réelle et constante. Ces maux sont grands, sans doute, mais ils apportent avec eux un enseignement qui est utile. Au lieu de s’occuper à cultiver les terres, la plupart des colons d’Alger, ou de ceux qui sont venus avec quelques capitaux dans ce centre de nos établissements en Afrique, n’ont songé qu’à spéculer dans l’intérieur des villes. La crise actuelle apprendra à ceux qui voudraient imiter leur exemple que, dans un pays nouveau, il n’y a qu’un moyen efficace de s’enrichir, c’est de produire ; que c’est sur l’agriculture environnante que s’asseoit la véritable prospérité des populations urbaines, et qu’il ne saurait y avoir de villes grandes et riches qu’au milieu d’un territoire cultivé et civilisé.