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pagné de la même solennité et environné des mêmes précautions que celui qui l’accorde.

La Chambre sait quel abus déplorable il a été fait, dans d’autres temps, de l’expropriation pour cause d’utilité publique, et comment le droit même de propriété s’en était trouvé connue obscurci et ébranlé. L’ordonnance du 1° octobre 1844 a mis fin à ces désordres, mais elle ne statue que pour les territoires civils. Dans tout le reste de l'Algérie, le système antérieur à l’ordonnance de 1844 est eu vigueur : l’expropriation est décidée par le gouverneur général ; elle a lieu pour toute cause ; la prise de possession est immédiate ; l'indemnité fixée par le conseil d’administration et payée en rente ne vient que plus tard. Or, en dehors des territoires civils, une foule d’Européens sont appelés chaque jour à devenir propriétaires. Il n’est ni juste ni sage de refuser à leurs propriétés la garantie qu’on accorde à celles des autres.

Nous avons dit qu’il était très-nécessaire, dans l’intérêt même de l’administration, et pour faciliter la liberté de ses mouvements, de créer des municipalités en Algérie. Une telle création n’importe pas moins à l’intérêt des citoyens qu’au bon ordre administratif. Un pays où les traces même de la commune n’existent pas, oià les habitants d’une ville sont privés non-seulement du droit d’administrer leurs affaires, mais de l’avantage de les voir gérer sous leurs yeux, cela, messieurs, est entièrement nouveau dans le monde. Rien de semblable ne s’était jamais vu, surtout à l’origine des sociétés coloniales. Quand la cité vient de naître, ses besoins sont si nombreux, si variés, si changeants, si particuliers, que le pouvoir local seul peut les connaître à temps, en comprendre l’étendue et les satisfaire. Les institutions municipales sont non-seulement utiles alors, mais absolument nécessaires ; à ce point qu’on a vu des colonies s’établir presque sans lois, sans liberté polilique, et pour ainsi dire sans gouvernement, mais qu’on ne pourrait en citer, dans toute l’histoire du monde, une seule qui ait été privée de la vie municipale.

On ne saurait se figurer la perte de temps et d’argent, les souffrances sociales, les misères individuelles qu’a produites en Afrique l'absence du pouvoir municipal. La commune n’étant représentée particulièrement par personne, n’ayant pas un ordonnateur unique pour ses dépenses, étant souvent placée loin du pouvoir qui la di-