Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Afrique, que d’armer contre lui le gouvernement d’un droit aussi exceptionnel et aussi rigoureux. Notre péril en Afrique ne naît pas des complots ou de la turbulence d’une population européenne, mais de son absence. Songeons d’abord à attirer et à retenir les Français, nous nous occuperons plus tard à les réprimer. Or, si l’on veut qu’ils viennent et qu’ils restent, il ne faut pas laisser croire à chacun d’eux que sa personne, sa fortune et sa famille sont sans cesse à la merci des volontés d’un seul homme.

Votre Commission croit également qu’il est nécessaire de donner à la propriété des garanties plus complètes que celles dont elle a joui jusqu’à présent.

La propriété territoriale des Européens en Afrique a deux origines : les uns ont acquis la terre des indigènes, les autres l’ont achetée ou reçue de l’État. Dans les pays barbares ou à demi civilisés, tout titre qui ne vient pas originairement de l’État ne donne qu’une assiette mobile à la propriété. Les nations européennes qui ont laissé dans leurs colonies la propriété s’asseoir sur des titres indigènes se sont bientôt jetées dans des embarras inextricables. C’est ce qui est arrivé dernièrement aux Anglais dans la Nouvelle-Zélande, c’est ce qui nous arrive à nous-mêmes en Afrique. Tout le monde sait que les environs d’Alger et de Bone ont été achetés à des indigènes dans les premières années qui ont suivi la conquête, et alors même qu’ils ne pouvaient être parcourus. Il en est résulté que la propriété y est restée confuse et improductive ; confuse, parce que le même champ a été vendu à plusieurs Européens à la fois par des vendeurs dont le droit était nul ou douteux, et qui d’ailleurs n’indiquaient jamais de limites ; improductive, parce qu’elle était confuse, et aussi parce qu’ayant été acquise à vil prix et sans condition, ses possesseurs ont trouvé en général préférable d’attendre la plus-value en laissant leurs terres incultes, que d’en tirer parti en les cultivant. C’est pour porter remède à ce mal, limité dans son étendue[1] mais très-profond, que diverses mesures ont été prises depuis trois ans.

L’ordonnance du 1er  octobre 1841, celle du 21 juillet 1846, et enfin trois règlements ministériels de la même année, ont eu ce but. L’intention de la Commission n’est point d’analyser ces différents

  1. Le territoire sur lesquels ces transactions ont eu lieu n’a guère plus que 242,000 hectares de superficie.