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elle produit peu ; que souvent, avec beaucoup de travail, d’efforts et d’argent, elle produit mal. Nous aurons l’occasion autre part d’éclairer ces vérités par des exemples. Nous nous bornons eu ce moment à les exprimer. Nous considérons que les vices de l’administration en Algérie sont une des causes principales des mécomptes que nous avons éprouvés dans ce pays, et qu’une réforme administrative est le plus pressant de tous les besoins qui se font sentir aujourd’hui.

Ce fait ainsi posé, nous en rechercherons aussitôt les causes. Parmi ces causes, quelle part doit être attribuée au mauvais choix des hommes ? La Commission n’avait point à l’examiner. Ceci est une question de personnel dans laquelle la Chambre ne doit pas entrer. Ici tout le pouvoir, mais aussi il faut qu’on le sache et qu’on le sente, toute la responsabilité appartient au gouvernement. Ce que nous pouvons dire sur ce sujet, c’est qu’il serait sage, avant de confier à des fonctionnaires l’administration de l’Algérie, de les préparer à cette tâche ou de s’assurer, du moins, qu’ils s’y sont préparés eux-mêmes. Une école spéciale ou tout au moins des examens spéciaux nous paraîtraient très-nécessaires. C’est ainsi que procèdent les Anglais dans l’Inde[1] Les fonctionnaires que nous envoyons en Afrique ignorent, au contraire, presque tous la langue, les usages, l’histoire du pays qu’ils vont administrer. Bien plus, ils

  1. Les jeunes gens qui se destinent à occuper des fonctions civiles dans l'Inde sont tenus d’habiter deux ans dans un collège spécial fondé en Angleterre (et qu’on nomme Hailesbury Collège). Là, ils se livrent à toutes les études particulières qui se rapportent a leur carrière, et, en même temps, il acquièrent des notions générales en administration publique et en économie politique. Les hommes les plus célèbres leur sont donnés comme professeurs. Malthus a fait un cours d’économie politique à Hailesbury, et sir James Mackintosh y a professé le droit. Huit langues de l'Asie y sont enseignées. On n’y entre et l’on n’en sort qu’après un examen. Ce n’est pas tout. Arrivés dans l’Inde, ces jeunes gens sont obligés d’apprendre à écrire et à parler couramment dans deux des idiomes du pays. Quinze mois après leur arrivée, un nouvel examen constate qu’ils possèdent ces connaissances, et, s’ils échouent dans cet examen, on les renvoie en Europe. Mais aussi lorsque, après tant d’épreuves, ils ont pris place dans l’administration du pays, leur position y est assurée, leurs droits certains, leur avancement n’est pas entièrement arbitraire. Ils s’élèvent de grade en grade, et suivant des règles connues d’avance, jusqu’aux plus hautes dignités.