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Deux membres ont demandé que l’effectif fût diminué, parce que, à leur avis, notre occupation devait être restreinte ; d’autres ont pensé que, sans exposer notre domination et sans restreindre notre occupation, il était possible de diminuer de quelques milliers d’hommes le chiffre actuel de notre armée. La Commission, tout en exprimant le vœu de voir diminuer l’effectif, n’a pas cru cependant qu’il fût sage de refuser au gouvernement, qui seul connaît parfaitement les faits et porte la responsabilité de leurs conséquences, les 94,000 hommes qu’il réclame. En conséquence, elle vous propose d’accorder le crédit porté au projet de loi.

Votre Commission, messieurs, ne s’est pas déterminée à vous proposer le maintien de l’effectif, sans avoir examiné avec un très-grand soin les conséquences et la portée de cette résolution ; elle s’est demandé si le chiffre de 94,000 qu’on pose devant vous était encore un chiffre provisoire, qui, comme tant d’autres, dût bientôt s’accroître.

Elle n’oublie pas plus que vous quelles augmentations graduelles et incessantes ont été données à l’armée d’Afrique depuis dix-sept ans. En 1831, l’effectif des troupes françaises ne s’élevait qu’à 18,000 hommes de toutes armes ; en 1834, à 30,000 ; en 1838, à 48,000 ; en 1841, à 70,000 ; en 1843, à 76,000 ; en 1845, à 83,000, et à 101,000 en 1846.

Cette progression doit-elle continuer à se suivre ? Le chiffre qu’on nous demande représente-t-il, comme par le passé, une évaluation provisoire, doit-il impliquer un état final ? Cela importe à savoir, non-seulement dans l’intérêt de la France, mais dans celui de l’Algérie. Ce qui fatigue le pays, ce qui pourrait, à la longue, finir par le dégoûter de sa conquête, c’est moins la pesanteur même des charges qu’elle lui impose, que l’incertitude où on le tient sur leur étendue probable ou possible.

Nous croyons que le temps est venu d’éclaircir ces doutes, et nous allons essayer de le faire.

Pour que le chiffre de l’armée d’Afrique dût croître, il faudrait nécessairement admettre une de ces deux choses : Ou que notre occupation dût encore s’étendre, ou que, dans les limites qu’elle a aujourd’hui, nos forces fussent insuffisantes pour assurer le maintien de notre domination.