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La peine des travaux forcés, ou, comme rappelle encore le peuple, des galères, n’est pas, il est vrai, favorable à la réforme de ceux qui la subissent ; mais plus qu’aucune autre elle est redoutée par ceux que leurs penchants vicieux ou leurs passions violentes peuvent amener à la subir. L’appareil infamant et terrible qui l’environne frappe de terreur les hommes qui seraient tentés de commettre les grands crimes. C’est là une terreur salutaire qu’il ne faut pas se hâter de faire disparaître.

On a répondu :

D’abord la terreur qu’inspire le bagne au criminel est beaucoup moindre qu’on ne le suppose. Dans le bagne, la vie est moins monotone, moins contrainte et plus saine que dans les prisons proprement dites ; le chiffre de la mortalité y est moindre. Aussi a-t-on vu des accusés et des condamnés préférer hautement le bagne à certaines maisons centrales. De telle sorte qu’avec toutes les apparences de l’extrême rigueur, il arrive souvent que la peine du bagne n’est pas suffisamment réprimante.

En second lieu, croit-on qnc l’emprisonnement individuel, surtout quand il doit durer longtemps, ne soit pas de nature à faire naître ces craintes utiles que la loi pénale veut inspirer ? L’expérience a prouvé le contraire. Il n’y a rien que le condamné redoute plus qu’une longue solitude, ni qui produise une impression plus profonde sur les âmes les plus endurcies et les plus fermes. Alors même que la peine du bagne serait plus intimidante que celle de l’emprisonnement individuel, pourrait-elle, d’ailleurs, être préférée ? Est-ce de nos jours, et dans notre pays, qu’on peut chercher à intimider les coupables eu les plongeant sans ressources dans une atmosphère inévitable de corruption et d’infamie, en les chargeant de chaînes, en les accouplant les uns aux autres, et en leur imposant le contact incessant et nécessaire de leur immoralité réciproque ?


L’opinion publique dit hautement que non ; et à plusieurs reprises elle a trouvé un interprète dans vos Commissions elles-mêmes. Voici notamment ce qu’on lit dans le rapport de la Commission du budget de cette année, à l’article Chiourmes, p. 271 : « N’y a-t-il donc rien à faire pour changer l’état des bagnes ? On avait pensé qu’il y avait à s’en préoccuper dans l’intérêt de la société ; qu’il y avait là une école permanente de crime d’où les