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système du code, qui ne fait en cela que suivre les principes respectés par toute bonne législation répressive.

À cette objection, qui peut paraître grave, il a été répondu qu’alors même que, dans le système de l’emprisonnement individuel, on ne graduerait la peine de l’emprisonnement que par la durée, il serait encore inexact de dire qu’on renverse l’échelle des peines, telle qu’elle est dressée dans le code pénal. Le code pénal, en effet, gradue la peine de plusieurs manières : par la mort civile, par l’infamie, par la privation temporaire des droits civils ou politiques. L’introduction de l’emprisonnement individuel laisse subsister dans leur entier tous ces degrés. Il ne change que la portion de la peine qui consiste dans la privation de la liberté, et, là encore, il n’est pas exact de dire qu’il soit impossible d’établir des différences entre les condamnés.

Il est vrai qu’on ne saurait, sans des inconvénients très-graves, accroître avec la grandeur du crime l’état d’isolement comparatif dans lequel le condamné doit vivre. Mais des différences considérables peuvent être établies sur d’autres points. Le vêtement et les aliments peuvent être plus grossiers pour certains criminels ; le travail peut être plus pénible, et la rémunération quelconque qui lui est accordée peut être plus ou moins grande. Ainsi les classifications du code pénal se retrouvent en partie.

Indépendamment de ces deux objections, le système d’emprisonnement individuel en a soulevé une dernière ; elle mérite d’attirer toute l’attention de la Chambre.

L’emprisonnement individuel, a-t-on dit quelquefois, n’améliore pas les détenus ; bien plus, il les déprave, les abrutit, et à la longue il les tue.

Un homme renfermé entre quatre murailles est entièrement privé de son libre arbitre ; il ne peut faire un mauvais emploi de sa volonté, il est vrai, mais il ne saurait non plus apprendre à en faire un bon usage. On ne lui enseigne point à se vaincre, puisqu’il est hors d’état de faillir. Il ne devient pas sensible à l’opinion de ses semblables, puisqu’il est seul. Pour lui, le grand mobile des progrès, l’émulation, n’existe pas. Il ne devient donc pas meilleur qu’il n’était, et il est à craindre qu’il ne devienne pire. La solitude est un état contre nature. Elle aigrit, elle irrite tous les esprits qu’elle n’abat point. L’homme énergique qui y est soumis finit par