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source, tendaient à favoriser le succès d’une pareille entreprise.

Au moment où se répandait en France l’idée que chaque homme avait le droit de prendre part au gouvernement et d’en discuter les actes, à ce moment même chacun de nous se faisait des droits de ce gouvernement une notion beaucoup plus vaste et plus haute.

Le pouvoir de diriger la nation et de l’administrer n’étant plus considéré comme un privilège attaché à certains hommes ou à certaines familles, mais paraissant le produit et l’agent de la volonté de tous, on reconnaissait volontiers qu’il ne devait avoir d’autres limites que celles qu’il s’imposait à lui-même ; c’était à lui à régler à son gré l’État et chaque homme. Après la destruction des classes, des corporations et des castes, il apparaissait comme le nécessaire et naturel héritier de tous les pouvoirs secondaires. Il n’y avait rien de si grand qu’il ne pût atteindre, rien de si petit qu’il ne pût loucher. L’idée de la centralisation et celle de la souveraineté du peuple étaient nées le même jour.

De pareilles notions étaient sorties de la liberté ; mais elles pouvaient aisément aboutir à la servitude.

Ces pouvoirs illimités qu’on avait avec raison refusés au prince, quand il ne représentait que lui-même ou ses aïeux, on pouvait être amené à les lui concéder lorsqu’il semblait représenter la souveraineté nationale ; et c’est ainsi que Napoléon put enfin dire, sans trop blesser le sens public, qu’il avait le droit de tout commander, parce que seul il parlait au nom du peuple.