Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre était là pour empêcher de tomber dans une pareille faute. La commission l’a parfaitement compris ; elle a jugé que les plus grands périls qu’auraient à courir les colonies à l’époque de l’émancipation ne naîtrait pas, comme on l’a cru jusqu’ici, des mauvaises inclinations des noirs, et que, quand même ils auraient fait en morale et en civilisation, durant les dernières années de l’esclavage, tous les progrès dont l’expérience a prouvé qu’ils sont capables, il serait encore imprudent de leur accorder tout à coup la même indépendance dont jouissent en France les classes ouvrières ; que si, au moment où le travail forcé n’aura plus lieu, on ne prenait pas quelques moyens artificiels pour attirer et retenir les nègres dans les sucreries et pour prévenir l’exagération des salaires, la production du sucre recevrait une soudaine et grave atteinte, et que les colonies, exposées à une perturbation subite dans leur principale et presque unique industrie, auraient fort à souffrir.

En conséquence, la commission propose de soumettre, pendant les premières années qui suivront l’abolition de l’esclavage, la liberté des nègres émancipés aux trois institutions principales que voici :

Les anciens esclaves seront tenus de résider dans la colonie.

Libres de choisir la profession à laquelle ils désirent se livrer et le maître sous la direction duquel ils veulent travailler, ils ne pourront rester oisifs ni se borner à travailler pour leur propre compte.

Chaque année, le maximum et le minimum des salaires seront fixés par le gouverneur en conseil. C’est entre ces limites extrêmes que les prix seront débattus.

Le motif de ces trois dispositions transitoires est facile à saisir.

Par la première, la commission veut prévenir l’embauchage anglais, qui ne tarderait pas à diminuer sensiblement la population ouvrière de nos îles.

Le but de la seconde est de s’opposer à ce que les nègres de nos colonies n’imitent ceux des colonies anglaises et n’abandonnent comme eux les grandes industries pour se retirer sur des portions de sol fertile qu’ils auraient acquises à très-bas prix ou usurpées.

Le principal objet de la troisième, enfin, est d’empêcher qu’à leur tour les maîtres, abusant de l’obligation où sont les noirs de louer leurs services et de la facilité qu’ils trouvent eux-mêmes, vu leur petit nombre, à se coaliser, n’imposent à leurs ouvriers des salaires trop bas.