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Il ne suit pas assurément de ce qui précède qu’il faille se précipiter dans la mesure de l’émancipation en aveugle, ni qu’il convienne d’y procéder sans prendre aucune des précautions nécessaires, pour en assurer les avantages et en restreindre les frais et les périls. L’émancipation, je le reconnais, est une entreprise sinon très-dangereuse, au moins très-considérable. Il faut se résoudre à la faire, mais en même temps il faut étudier, avec le plus grand soin, le plus sûr et le plus économique moyen d’y réussir.

Les Anglais, ainsi que je l’ai déjà dit, ont pris l’initiative. Il convient d’abord d’examiner leurs actes et de s’éclairer de leur exemple.

Une commission composée de pairs et de députés, formée en 1840, atin d’étudier cette question, vient de proposer un plan nouveau. Le droit et le devoir du public est de le juger.

Ce double examen sera le sujet des articles subséquents.




TROISIÈME ARTICLE[1]


Il faut savoir être juste, même envers ses rivaux et ses adversaires. On a dit que la nation anglaise, en abolissant l’esclavage, n’avait été mue que par des motifs intéressés ; qu’elle n’avait eu pour but que de faire tomber les colonies des autres peuples, et de donner ainsi le monopole de la production du sucre à ses établissements dans l’Inde. Cela ne supporte pas l’examen. Un homme raisonnable ne peut supposer que l’Angleterre, pour atteindre les colonies à sucre des autres peuples, ait commencé par ruiner les siennes propres, dont plusieurs étaient dans un état de prospérité extraordinaire. C’eût été le machiavélisme le plus insensé qui se puisse concevoir. A l’époque où l’abolition a été prononcée, les colonies anglaises produisaient deux cent vingt millions de kilogrammes de sucre, c’est-à-dire près de quatre fois plus que n’en produisaient, à la même époque, les colonies françaises. Parmi les colonies de la Grande-Bretagne se trouvaient la Jamaïque, la troisième des Antilles en beauté, eu fertilité et en grandeur, et, sur la terre ferme,

  1. 9 novembre 1843.