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envoyé, en décembre 1838, pour constater l’état d’Antigue, faisait le rapport suivant :

« A Antigue, le prix de la journée est assez modique ; il est à peu près en rapport avec l’entretien de l’esclave autrefois. Les propriétaires sont dans une situation satisfaisante ; ils sont unanimes sur les bons effets qui résultent de l’émancipation, et ils se félicitent de l’avoir hâtée. Depuis cette époque, les plantations et les terres sont recherchées ; elles ont en quelque sorte doublé de valeur, puisqu’elles pourraient être vendues plus cher que lorsque les esclaves y étaient attachés. »

Ce sont là des résultats admirables, mais qu’il serait dangereux, on doit le dire, d’attendre ailleurs ; car Antigue est dans une situation toute particulière.

L’île d’Antigue ne contenait, lors de l’émancipation, que vingt-neuf mille trois cent soixante-dix esclaves, quatre mille soixante-six noirs libres et deux mille blancs ; en tout trente cinq mille quatre cent trente-six habitants. Cette population, quelque minime qu’elle soit, couvrait toute la surface du pays ; presque toutes les terres d’Antigue étaient occupées, toutes étaient possédées : on y était presque aussi serré qu’en Europe. Le nègre se trouva donc placé dans cette alternative de mourir de faim ou de travailler, A Antigue, d’ailleurs, et cette cause est plus puissante encore que la première aux yeux de tout homme qui sent et qui raisonne, l’esclavage a toujours été d’une mansuétude toute particulière, et les maîtres y ont fait d’eux-mêmes, depuis très-longtemps, les plus grands efforts pour améliorer les mœurs des nègres et se concilier leur affection. On se rappelle que ce sont eux seuls qui, en 1834, ont voulu faire passer leurs esclaves de la servitude à la liberté complète, sacrifiant ainsi le travail gratuit que le bill d’émancipation leur permettait d’exiger pendant six ans. Ce fait suffit pour expliquer tout ce qui la précédé et suivi. Des hommes qui sont capables d’en agir ainsi vis-à-vis de leurs esclaves, montrent qu’ils ont été des maîtres pleins de douceur et de miséricorde et l’on conçoit aisément qu’ils n’aient pas rencontré d’affranchis rebelles.

Les choses étaient en cet état, dans les colonies anglaises, an commencement de 1838.

À cette époque, l’opinion publique s’émut de nouveau en Angleterre ; de nombreuses réunions populaires eurent lieu ; diverses