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accorder aux colons une indemnité dont, quant à présent, le montant n’a pu être évalué par elle, mais dont la plus grande partie serait payée avant que l’émancipation ne fût accomplie.

La Commission ne regarde pas, du reste, l’indemnité comme la seule condition nécessaire au succès de l’entreprise ; il y en a plusieurs autres qui lui restent à indiquer.

Il importe d’abord de se fixer sur l’espèce de péril qui est à craindre.

Beaucoup de personnes, préoccupées des souvenirs de Saint-Domingue, sont portées à croire que l’émancipation des esclaves fera naître prochainement entre les deux races qui habitent nos colonies des collisions sanglantes, d’où l’expulsion, le massacre des blancs doivent bientôt sortir. Tout porte à penser que ces craintes sont entièrement imaginaires, ou du moins fort exagérées. La Commission a examiné avec le plus grand soin tous les documents relatifs à l’affranchissement des esclaves dans les colonies anglaises, et elle croit devoir déclarer que rien de ce qui s’est passé dans ces colonies ne lui a donné lieu de croire que l’émancipation dût être accompagnée des désastres que l'on redoute.

L’Angleterre possédait dix-neuf colonies à esclaves ; ces colonies contenaient en tout, environ neuf cent mille noirs on mulâtres, et seulement deux cent trente mille blancs, en à peu près. Parmi ces colonies, l’une d’elles, la Jamaïque, comptait à elle seule trois cent vingt-deux mille esclaves et trente-cinq mille blancs ; une autre, Demerari, est placée sur le continent et environnée de pays inhabités, où les nègres peuvent aisément se réunir loin de la puissance des blancs. L’émancipation a causé et cause encore du malaise dans les colonies anglaises ; mais nulle part elle n’a donné lieu à de graves désordres ni à des tentatives d’insurrection. L’Angleterre entretient cependant peu de troupes dans ses colonies, et l’émancipation y a été accompagnée de circonstances qui pouvaient aisément servir de cause aux désordres et à la violence.

Les colonies de la France ne sont qu’au nombre de quatre[1] ; trois d’entre elles sont des îles qui n’offrent qu’une petite surface, et la quatrième est presque inhabitée[2]. Sur ces îles, la population tout

  1. En mettant à part le Sénégal, qui n’est qu’un comptoir.
  2. La plus grande longueur de la Martinique est 16 lieues et sa lar-