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pourrait employer pour préparer les nègres à l’émancipation, seraient d’un effet très-lent et n’auraient jamais qu’une utilité fort restreinte. Elle a donc jugé qu’on gagnait peu à attendre, et elle s’est demandé s’il n’y avait pas péril à le faire.

L’esclavage est une de ces institutions qui durent mille ans, si personne ne s’avise de demander pourquoi elle existe, mais qu’il est presque impossible de maintenir le jour où cette demande est faite.

Si l’on considère ce qui se passe en France, il semble évident qu’au point où en sont aujourd’hui arrivés les esprits, après que les chambres se sont occupées, à plusieurs reprises, de la question d’émancipation et l’ont mise à l’ordre du jour, suivant l’expression de l’habile rapporteur de la commission précédente, il semble évident, disons-nous, que l’administration ne pourra pas longtemps résister à la pression de l’opinion publique sur ce point, et que, dans un délai désormais très-court, elle sera forcée de détruire, soit directement, soit indirectement, l’esclavage. D’une autre part, si l’on considère l’état des colonies, on est conduit à penser que, dans leur intérêt même, la servitude doit bientôt y avoir un terme. On ne saurait étudier attentivement les documents nombreux qui ont été mis à la disposition de la Commission, sans découvrir que, dans les colonies, l’idée de l’abolition de l’esclavage est présente à tous les esprits. L’approche de ce grand changement social, les craintes naturelles et les espérances légitimes qu’il suggère, y troublent et y agitent profondément les âmes.

Ce qui arrive dans les colonies anglaises qui environnent les nôtres, ce qui se dit et ce qui se fait chaque année dans la mère-patrie, ce qui se passe dans nos îles elles-mêmes, où, depuis huit ans, trente-quatre mille noirs[1] ont été affranchis, tout annonce aux colons que la servitude va bientôt finir.

« L’émancipation, dit le conseil privé de la Guadeloupe (26 décembre 1838), est désormais un fait inévitable, non-seulement sous le point de vue des efforts tentés par les abolitionistes, mais comme conséquence de la position topographique de nos îles et de leur voisinage des colonies anglaises[2]. »

  1. Voyez les notices statistiques publiées par le ministre de la marine.
  2. La Martinique et la Guadeloupe ne sont séparées que par des bras de mer très-étroits de Sainte-Lucie, de la Dominique, de Montserrat et d’Antigue. Toutes ces îles se voient. Sainte-Lucie et la Dominique ayant