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Les souvenirs, les habitudes, les intérêts, les préjugés, tout les unit encore à la mère-patrie, en dépit de l’Océan qui les sépare. Plusieurs nations de l’Europe ont trouvé et trouvent encore une grande source de force et de gloire dans ces liens d’une confraternité lointaine. Un an avant la révolution d’Amérique, le colon dont les pères avaient, depuis un siècle et demi, quitté les rivages de la Grande-Bretagne, disait encore chez nous en parlant de l’Angleterre.

Mais le nom de la mère-patrie ne rappelle à la mémoire du déporté que le souvenir de misères quelquefois imméritées. C’est là qu’il a été malheureux, persécuté, coupable, déshonoré. Quels liens l’unissent à un pays où, le plus souvent, il n’a laissé personne qui s’intéresse à son sort ? Comment désirerait-il établir dans la métropole des rapports de commerce ou des relations d’amitié ? De tous les points du globe, celui où il est né lui semble le plus odieux. C’est le seul lieu où l’on connaisse son histoire et où sa honte ait été divulguée.

On ne peut guère douter que ces sentiments hostiles du colon ne se perpétuent dans sa race : aux États-Unis, parmi ce peuple rival de l’Angleterre, on reconnaît encore les Irlandais par la haine qu’ils ont vouée à leurs anciens maîtres.

Le système de la déportation est donc fatal aux métropoles, en ce qu’il affaiblit les liens naturels qui doivent les unir à leurs colonies ; de plus, il prépare à ces États naissants eux-mêmes un avenir plein d’orages et de misère.

Les partisans des colonies pénales n’ont pas manqué de nous citer l’exemple des Romains qui préludèrent par une vie de brigandage à la conquête du monde.

Mais ces faits dont on parle sont bien loin de nous ; il en est d’autres plus concluants qui se sont passés presque sous nos yeux, et nous ne saurions croire qu’il faille s’en rapporter à des exemples donnés il y a 3,000 ans, quand le présent parle si haut.