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toute seule ; mais l’État gagne peu à recueillir ces fruits précoces, et il eût été à désirer qu’il laissât suivre aux choses leur cours naturel.

Et d’abord, si la colonie croît, en effet, avec rapidité, il devient bientôt difficile d’y maintenir à peu de frais l’établissement pénal : en 1819, la population de la Nouvelle-Galles du Sud ne se composait que d’environ 29,000 habitants, et déjà la surveillance devenait difficile ; déjà on suggérait au gouvernement l’idée d’élever des prisons pour y renfermer les condamnés : c’est le système européen avec ses vices, transporté à 5,000 lieues de l’Europe[1].

Plus la colonie croîtra en population, moins elle sera disposée à devenir le réceptacle des vices de la mère-patrie. On sait quelle indignation excita jadis en Amérique la présence des criminels qu’y déportait la métropole.

Dans l’Australie elle-même, chez ce peuple naissant, composé en grande partie de malfaiteurs, les mêmes murmures se font déjà entendre, et on peut croire que, dès que la colonie en aura la force, elle repoussera avec énergie les funestes présents de la mère-patrie. Ainsi seront perdus pour l’Angleterre les frais de son établissement pénal.

Les colonies de l’Australie chercheront d’autant plus tôt à s’affranchir des obligations onéreuses imposées par l’Angleterre, qu’il existe dans le cœur de leurs habitants peu de bienveillance pour elle.

Et c’est là l’un des plus funestes effets du système de la déportation appliqué aux colonies.

Rien de plus doux, en général, que le sentiment qui lie les colons au sol qui les a vus naître.

  1. En 1826 (17 février), le gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud faisait établir une nouvelle prison indépendante de celle qui existait déjà à Sidney. Plusieurs établissements avaient déjà été créés sur divers points du territoire de la colonie pour y retenir les déportés les plus indociles. Voyez les documents imprimés par ordre de la Chambre des communes d’Angleterre, et, entre autres, l’ordonnance du gouverneur Darling en 1826, et les regulation on penal settlements, imprimés en 1832.