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tous les vaisseaux qui voudraient stationner dans ses eaux. « Il n’en serait pas à Cherbourg, disait M. Daru, dans le remarquable rapport qui a précédé le vote de la loi de 1841 à la Chambre des Pairs, comme à Saint-Jean-d’Acre ou à Saint-Jean-d’Ulloa, où l’on n’avait à répondre qu’à des feux directs. Une escadre, de quelque manière qu’elle s’embossât, serait en butte à des coups convergeant de tous les côtés, et cette position n’est pas tenable pour des bâtiments. » M. Daru, qui est officier d’artillerie, ajoute : « Le problème de rendre dans ces attaques à la défense de la terre sa supériorité, consiste à tirer peu et posément de beaucoup de points à la fois, à fleur d’eau, avec des canons Paixhans, sur les lianes et sur les derrières des bâtiments. Il n’y a pas de flotte qui puisse résister à une lutte ainsi engagée et ainsi soutenue. Un obus dans le flanc d’un aisseau fera plus de mal que ne feraient mille boulets sur le mur de granit de Cherbourg ; le danger est trop évidemment inégal pour qu’on s’y expose : car les uns courent le risque d’une ruine totale, les autres de quelques brèches et de quelques pièces démontées. »

Si l’on récapitule toutes les sommes qui ont déjà été ou qui seront dépensées à Cherbourg, on se convaincra sans peine que ce grand établissement maritime a coûté infiniment plus cher à la France que ne l’avaient prévu Louis XIV et Louis XVI ; mais son utilité est aussi devenue beaucoup plus grande pour nous qu’elle n’eût été du temps de ces princes. Lorsqu’on lit l’histoire de Cherbourg depuis cent cinquante ans, on remarque que c’est toujours au milieu d’une guerre maritime avec les Anglais qu’on conçoit ou qu’on reprend l’idée d’y faire un port. On n’a pas besoin de le chercher dans les archives particulières de la marine la date des différents projets. L’histoire générale du royaume l’a fixée : plus l’Angleterre s’élève, plus on voit le désir d’avoir un port à Cherbourg devenir pressant. Cherbourg, en effet, c’est la lutte navale avec l’Angleterre ; Cherbourg est