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plus grandes les unes des autres, d’abord à vingt-cinq toises, puis à soixante, à cent quinze, à cent quarante, et enfin à deux cent cinquante. De manière que la digue en pierres perdues, au lieu d’être l’accessoire du système, en devenait graduellement la base et la partie principale. Ce ne fut, toutefois, qu’en 1788, après qu’une longue série d’accidents eut démoli ou rasé la plus grande partie des caisses, rongées d’ailleurs par les vers marins (tarets), que, renonçant entièrement à leur usage, le conseil général des travaux ordonna que toutes celles d’entre elles qui avaient pu résister jusque là, mais dont la ruine élait imminente, seraient rasées au niveau des basses mers. On ne laissa subsister que le cône qui avait été coulé le premier. Celui-là ayant été maçonné à son sommet s’était maintenu mieux que le reste. M. de Cessart fut ainsi vaincu, mais non persuadé. Il ne se rendit point. Le procès-verbal du conseil (11 juin 1788) fait voir qu’il ne céda qu’à la contrainte. Il manifesta son dépit en laissant à un autre le soin d’exécuter la décision qui achevait de condamner ses idées. A partir de cette époque, le système des pierres perdues régna seul en fait et en théorie. Après avoir dépensé des sommes immenses, et employé des ressources infinies de talent et de savoir pour arriver au but par des voies très-détournées, à l’aide de méthodes très-compliquées et très-savantes, on se décida enfin à y marcher tout uniment par le grand chemin que le simple bon sens avait, dès l’origine, indiqué.

Dès qu’on avait commencé à appliquer le système des pierres perdues, on avait découvert que la pratique en était plus simple encore que la théorie, et que l’art y tenait une plus petite place qu’on ne l’avait supposé. Les ingénieurs s’étaient d’abord livrés à des recherches savantes pour déterminer l’inclinaison qu’il convient de donner à la digue du côté de la pleine mer. Ils avaient calculé que le talus devail avoir, de ce côté-là, une pente uniforme d’un pied de hauteur sur trois de base. On s’efforça donc de lui donner cette