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était détruite.Une seule tempête suffisait souvent pour compléter cette suite d’opérations destructrices. Au bout de très peu de temps, on commença à douter quele système des cônes put remplir l’objet qu’on se proposait. On se souvient qu’à l’origine des travaux, un moyen très-facile et comparativement peu coûteux avait été proposé par M. de la Bretonnière. Il consistait tout uniment à verser des pierres de moyenne et petite grosseur dans la rade, et à en composer la digne. De tous les plans proposés, celui-là était le seul qui eût été unanimement repoussé par tout le monde. Il avait le tort d’être simple. On y arriva cependant, mais peu à peu, et, pour ainsi dire, sans le vouloir. Originairement la digue devait se composer de quatre-vingt-dix cônes. On ne tarda pas à s’apercevoir que la mise à flot de ces immenses caisses ne pouvait avoir lieu que pendant deux ou trois mois, chaque année, et deux ou trois jours de chacun de ces mois. On calcula que dix-huit ans seraient nécessaires pour que les quatre-vingt-dix cônes fussent en place. On se résolut donc à en diminuer le nombre, ce qui força de mettre un certain espace entre chacun d’eux. Pour ne pas laisser dans la digue des ouvertures aussi considérables, on versa dans les intervalles des cônes des pierres perdues. M. de Cessart lui-même, craignant que ses caisses, ainsi isolées les unes des autres, ne fussent aisément ébranlées dans leur base, fit couler tout autour d’elles de grands amas de pierres. On se rappelle que’le principal motif qui avait été donné pour repousser le système des digues à pierres perdues avait été la crainte de voir ces pierres chassées dans l’intérieur de la rade. Or, l’expérience prouva bientôt que ces craintes étaient chimériques. Les mêmes tempêtes qui détruisaient ou endommageaient les cônes étaient impuissantes contre les digues en pierres perdues : celles-ci, sous la pression des flots, avaient change de forme, mais non de place : de telle sorte que le le même accident qui manifestait les vices du premier moyen, mettait en lumière l’excellence du second.