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pour en élever le fond et y amonceler une sorte de montagne sous-marine, laissant aux flots le soin de donner une assiette et une forme à cette nouvelle île qu’on faisait surgir dans leur sein[1]. Ce plan fut soumis à l’examen des gens de l’art. M. Decaux fut consulté, des ingénieurs civils furent appelés à donner leur avis, et comme dans ce temps-là (on était en 1781) les esprits commençaient à s’agiter sans savoir encore à quoi se prendre, toute la nation tourna les yeux vers Cherbourg et se préoccupa de la question de savoir comment se résoudrait le grand problème que présentaient les travaux. Les faiseurs de projets abondèrent, et, comme on peut le croire, ils différèrent beaucoup entre eux. Toutefois, tous parurent s’accorder sur ce point, que l’idée de M. de la Bretonnière était inapplicable. Des pierres, ainsi jetées dans la mer au hasard et sans cohésion entre elles, ne pouvaient manquer, disait-on, d’être chassées de côté et d’autre par les flots on les courants, et de venir encombrer la rade au lieu de la couvrir ; c’est ce que démontra notamment M. Decaux, dans un Mémoire où, après avoir combattu la pensée de M. de la Bretonnière, il faisait connaître la sienne.

Pour empêcher ce grand débordement de pierres perdues dans la rade, M. Decaux proposait de déposer d’abord au fond de la mer un cordon de vastes caisses de charpente remplies de maçonnerie. En dehors de ce premier rempart, on eut versé les pierres perdues qui appuyées ainsi sur un corps solide, ne pouvaient plus être portées au dedans de la rade. Cette idée, après de longs débats, fut écartée ; c’est alors que M. de Cessart se présenta. M. de Cessart était un ingénieur des ponts et chaussées très-distingué, qui s’était déjà signalé par plusieurs grands travaux à la mer. On l’appela à Cherbourg, et il soumit au gouvernement un plan qui fut enfin

  1. Le plan originaire de M. de la Bretonnière était moins simple.Il voulait, avant de jeter les pierres perdues, former tout le long de la digue un noyau solide à l'aide e vaisseaux maçonnés et ensuite coulés;mais il se réduisit bientôt à l'idée qui vient d'être exposée.