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guerre fût terminée, et malgré les nouvelles charges qu’elle allait imposer à l’Etat.

Dès l’origine. on était tombé d’accord que, dans toute l’étendue de la Manche, il n’y avait que deux endroits, placés tout près l’un de l’autre, qui pussent se prêter à un pareil dessein : la Hougue, théâtre du désastre de Tourville, et six lieues plus loin, Cherbourg ; mais on hésitait, depuis un siècle, entre ces deux rades. Il ne paraît pas que Vauban, chargé par Louis XIV d’examiner la question, se fût prononcé. Les— avantages de Cherbourg, dans le cas d’une guerre, et surtout d’une guerre offensive avec l’Angleterre, l’avaient fort frappé. Il avait compris que la situation avancée qu’occupe la rade de Cherbourg ; la difficulté presque insurmontable qu’y trouve l’ennemi pour y bloquer nos vaisseaux, et la facilité que ceux-ci rencontrent pour sortir par tous les vents, seraient d’un grand secours, toutes les fois qu’on voudrait frapper sur les Anglais quelques coups hardis et imprévus. Vauban avait exprimé cette pensée par un de ces mots heureux que son génie trouvait souvent sans les chercher. « Cherbourg, avait-il dit, a une position audacieuse[1].L’incertitude durait toujours, quand Louis XVI se décida à réaliser en partie la pensée de son aïeul. Plusieurs années se passèrent encore à discuter sur le choix à faire. Dumouriez se vante, dans ses Mémoires, d’avoir déterminé le gouvernement à choisir Cherbourg, et d’avoir indiqué à l’avance les meilleurs moyens de réussir. M. de Lamartine, en écri-

  1. Il est, du reste, fort à craindre que les détails du Mémoire rédigé à propos de ces questions par ce grand homme ne soient aujourd’hui perdus. Le Mémoire ne se retrouve ni dans les archives du port de Cherbourg, ni dans celles de la marine, ni dans celles de la guerre, ni dans les papiers de la famille. Nous n’en possédons que les fragments cités par les premiers auteurs qui ont écrit sur les travaux de Cherbourg, M.M. Dumouriez, de la Bretonnière, Meunier et Cachin. Il est évident que ceux-ci ont eu le Mémoire sous les yeux ; peut-être se trouve-t-il en la possession de leurs héritiers qui, dans ce cas, devraient se faire un devoir de le restituer à l’État, car il s’agit ici d’une véritable richesse nationale.