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plication ; les Américains font voir de ce côté un esprit toujours net, libre, original et fécond ; mais il n’y a presque personne, aux États-Unis, qui se livre à la portion essentiellement théorique et abstraite des connaissances humaines. Les Américains montrent en ceci l’excès d’une tendance qui se retrouvera, je pense, quoiqu’à un degré moindre, chez tous les peuples démocratiques.

Rien n’est plus nécessaire à la culture des hautes sciences, ou de la portion élevée des sciences que la méditation, et il n’y a rien de moins propre à la méditation que l’intérieur d’une société démocratique. On n’y rencontre pas, comme chez les peuples aristocratiques, une classe nombreuse qui se tient dans le repos parce qu’elle se trouve bien ; et une autre qui ne remue point parce qu’elle désespère d’être mieux. Chacun s’agite ; les uns veulent atteindre le pouvoir, les autres s’emparer de la richesse. Au milieu de ce tumulte universel, de ce choc répété des intérêts contraires, de cette marche continuelle des hommes vers la fortune, où trouver le calme nécessaire aux profondes combinaisons de l’intelligence ? comment arrêter sa pensée sur un seul point quand autour de soi tout remue, et qu’on est soi-même entraîné et ballotté chaque jour dans le courant impétueux qui roule toutes choses ?

Il faut bien discerner l’espèce d’agitation permanente qui règne au sein d’une démocratie tranquille et déjà constituée, des mouvements tumultueux et révolutionnaires qui accompagnent presque toujours la naissance et le développement d’une société démocratique.