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chacun croit apercevoir près de soi les dernières bornes de la puissance humaine, et nul ne cherche plus à lutter contre une destinée inévitable. Ce n’est pas que les peuples aristocratiques refusent absolument à l’homme la faculté de se perfectionner ; ils ne la jugent point indéfinie ; ils conçoivent l’amélioration, non le changement ; ils imaginent la condition des sociétés à venir meilleure, mais non point autre, et, tout en admettant que l’humanité a fait de grands progrès et qu’elle peut en faire quelques uns encore, ils la renferment d’avance dans de certaines limites infranchissables.

Ils ne croient donc point être parvenus au souverain bien et à la vérité absolue (quel homme ou quel peuple a été assez insensé pour l’imaginer jamais ?), mais ils aiment à se persuader qu’ils ont atteint à peu près le degré de grandeur et de savoir que comporte notre nature imparfaite ; et, comme rien ne remue autour d’eux, ils se figurent volontiers que tout est à sa place. C’est alors que le législateur prétend promulguer des lois éternelles, que les peuples et les rois ne veulent élever que des monuments séculaires, et que la génération présente se charge d’épargner aux générations futures le soin de régler leurs destinées.

À mesure que les castes disparaissent, que les classes se rapprochent, que, les hommes se mêlant tumultueusement, les usages, les coutumes, les lois varient, qu’il survient des faits nouveaux, que des vérités nouvelles sont mises en lumière, que d’anciennes opinions disparaissent, et que d’autres prennent leur place, l’image