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changent, mais sur des motifs plus élevés et une expérience plus générale.

L’amour que montre un peuple pour ses lois ne prouve qu’une chose, c’est qu’il ne faut pas se hâter de les changer.


PAGE 452.


Je viens, dans le chapitre auquel cette note se rapporte, de montrer un péril ; je veux en indiquer un autre plus rare, mais qui, s’il apparaissait jamais, serait bien plus à craindre.

Si l’amour des jouissances matérielles et le goût du bien-être que l’égalité suggère naturellement aux hommes, s’emparant de l’esprit d’un peuple démocratique, arrivaient à le remplir tout entier, les mœurs nationales deviendraient si antipathiques à l’esprit militaire, que les armées elles-mêmes finiraient peut-être par aimer la paix en dépit de l’intérêt particulier qui les porte à désirer la guerre. Placés au milieu de cette mollesse universelle, les soldats en viendraient à penser que mieux vaut encore s’élever graduellement mais commodément et sans efforts dans la paix, que d’acheter un avancement rapide au prix des fatigues et des misères de la vie des camps. Dans cet esprit, l’armée prendrait ses armes sans ardeur et en userait sans énergie ; elle se laisserait mener à l’ennemi plutôt qu’elle n’y marcherait elle-même.

Il ne faut pas croire que cette disposition pacifique de l’armée l’éloignât des révolutions, car les révolutions et surtout les révolutions militaires qui sont d’ordinaire fort rapides, entraînent souvent de grands périls, mais non de longs travaux ; elles satisfont l’ambition à moins de frais que la guerre ; on n’y risque que la vie, à quoi les hommes des démocraties tiennent moins qu’à leurs aises.

Il n’y a rien de plus dangereux pour la liberté et la tranquillité d’un peuple qu’une armée qui craint la guerre, parce que, ne cherchant plus sa grandeur et son influence sur les champs de bataille, elle veut les trouver ailleurs. Il pourrait donc arriver que les hommes qui composent une armée démocratique perdissent les intérêts du citoyen sans acquérir les vertus du soldat, et que l’armée cessât d’être guerrière sans cesser d’être turbulente.

Je répéterai ici ce que j’ai déjà dit plus haut. Le remède à de