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par lui-même, et sans le secours de pouvoirs secondaires, toutes les parties d’un grand empire ; il n’y en a point qui ait tenté d’assujettir indistinctement tous ses sujets aux détails d’une règle uniforme, ni qui soit descendu à côté de chacun d’eux pour le régenter et le conduire. L’idée d’une pareille entreprise ne s’était jamais présentée à l’esprit humain, et, s’il était arrivé à un homme de la concevoir, l’insuffisance des lumières, l’imperfection des procédés administratifs, et surtout les obstacles naturels que suscitait l’inégalité des conditions, l’auraient bientôt arrêté dans l’exécution d’un si vaste dessein.

On voit qu’au temps de la plus grande puissance des Césars, les différents peuples qui habitaient le monde romain avaient encore conservé des coutumes et des mœurs diverses : quoique soumises au même monarque, la plupart des provinces étaient administrées à part ; elles étaient remplies de municipalités puissantes et actives, et, quoique tout le gouvernement de l’empire fût concentré dans les seules mains de l’empereur, et qu’il restât toujours, au besoin, l’arbitre de toutes choses, les détails de la vie sociale et de l’existence individuelle échappaient d’ordinaire à son contrôle.

Les empereurs possédaient, il est vrai, un pouvoir immense et sans contrepoids, qui leur permettait de se livrer librement à la bizarrerie de leurs penchants, et d’employer à les satisfaire la force entière de l’État ; il leur est arrivé souvent d’abuser de ce pouvoir pour enlever arbitrairement à un citoyen ses biens ou sa vie :