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parce qu’elles se trouvent en parfaite harmonie avec les idées nouvelles et les habitudes générales des hommes de nos jours.

La propriété industrielle n’augmente donc point ses droits avec son importance. La classe industrielle ne devient pas moins dépendante en devenant plus nombreuse ; mais on dirait, au contraire, qu’elle apporte le despotisme dans son sein, et qu’il s’étend naturellement à mesure qu’elle se développe[1].

En proportion que la nation devient plus industrielle, elle sent un plus grand besoin de routes, de canaux, de ports et autres travaux d’une nature semi-publique, qui facilitent l’acquisition des richesses, et en proportion

  1. Je citerai à l’appui de ceci quelques faits. C’est dans les mines que se trouvent les sources naturelles de la richesse industrielle. À mesure que l’industrie s’est développée en Europe, que le produit des mines est devenu un intérêt plus général et leur bonne exploitation plus difficile par la division des biens que l’égalité amène, la plupart des souverains ont réclamé le droit de posséder le fonds des mines et d’en surveiller les travaux ; ce qui ne s’était point vu pour les propriétés d’une autre espèce.
    Les mines, qui étaient des propriétés individuelles soumises aux mêmes obligations et pourvues des mêmes garanties que les autres biens immobiliers, sont ainsi tombées dans le domaine public. C’est l’État qui les exploite ou qui les concède ; les propriétaires sont transformés en usagers ; ils tiennent leurs droits de l’État, et, de plus, l’État revendique, presque partout, le pouvoir de les diriger ; il leur trace des règles, leur impose des méthodes, les soumet à une surveillance habituelle, et, s’ils lui résistent, un tribunal administratif les dépossède, et l’administration publique transporte à d’autres leurs priviléges ; de sorte que le gouvernement ne possède pas seulement les mines, il tient tous les mineurs dans sa main.
    Cependant, à mesure que l’industrie se développe, l’exploitation des anciennes mines augmente. On en ouvre de nouvelles. La population des mines s’étend et grandit. Chaque jour, les souverains étendent sous nos pieds leur domaine et le peuplent de leurs serviteurs.