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À mesure que l’égalité, se développant à la fois dans plusieurs pays, y pousse simultanément vers l’industrie et le commerce les hommes qui les habitent, non seulement leurs goûts se ressemblent, mais leurs intérêts se mêlent et s’enchevêtrent, de telle sorte qu’aucune nation ne peut infliger aux autres des maux qui ne retombent pas sur elle-même, et que toutes finissent par considérer la guerre comme une calamité, presque aussi grande pour le vainqueur que pour le vaincu.

Ainsi, d’un côté, il est très-difficile, dans les siècles démocratiques, d’entraîner les peuples à se combattre ; mais, d’une autre part, il est presque impossible que deux d’entre eux se fassent isolément la guerre. Les intérêts de tous sont si enlacés, leurs opinions et leurs besoins si semblables qu’aucun ne saurait se tenir en repos, quand les autres s’agitent. Les guerres deviennent donc plus rares ; mais, lorsqu’elles naissent, elles ont un champ plus vaste.

Des peuples démocratiques qui s’avoisinent ne deviennent pas seulement semblables sur quelques points, ainsi que je viens de le dire ; ils finissent par se ressembler sur presque tous[1].

  1. Cela ne vient pas uniquement de ce que ces peuples ont le même état social, mais de ce que ce même état social est tel qu'il porte naturellement les hommes à s'imiter et à se confondre.
    Lorsque les citoyens sont divisés en castes et en classes, non seulement ils diffèrent les uns des autres, mais ils n'ont ni le goût ni le désir de se ressembler ; chacun cherche, au contraire, de plus en plus, à garder intactes ses opinions et ses habitudes propres et à rester soi. L'esprit d'individualité est très-vivace.
    Quand un peuple a un état social démocratique, c'est-à-dire qu'il