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immobiles. Ils observent et se taisent. La majorité ne croit plus ; mais elle a encore l'air de croire, et ce vain fantôme d'une opinion publique suffit pour glacer les novateurs, et les tenir dans le silence et le respect.

Nous vivons à une époque qui a vu les plus rapides changements s'opérer dans l'esprit des hommes. Cependant il se pourrait faire que bientôt les principales opinions humaines soient plus stables qu'elles ne l'ont été dans les siècles précédents de notre histoire ; ce temps n'est pas venu, mais peut-être il approche.

À mesure que j'examine de plus près les besoins et les instincts naturels des peuples démocratiques, je me persuade que, si jamais l'égalité s'établit d'une manière générale et permanente dans le monde, les grandes révolutions intellectuelles et politiques deviendront bien plus difficiles et plus rares qu'on ne le suppose.

Parce que les hommes des démocraties paraissent toujours émus, incertains, haletants, prêts à changer de volonté et de place, on se figure qu'ils vont abolir tout à coup leurs lois, adopter de nouvelles croyances et prendre de nouvelles mœurs. On ne songe point que si l'égalité porte les hommes au changement, elle leur suggère des intérêts et des goûts qui ont besoin de la stabilité pour se satisfaire ; elle les pousse, et, en même temps, elle les arrête, elle les aiguillonne et les attache à la terre ; elle enflamme leurs désirs et limite leurs forces.

C'est ce qui ne se découvre pas d'abord : les passions qui écartent les citoyens les uns des autres dans une