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cesse, l'esprit humain semble presque immobile.

Lorsqu'une opinion s'est une fois étendue sur le sol américain et y a pris racine, on dirait que nul pouvoir sur la terre n'est en état de l'extirper. Aux États-Unis, les doctrines générales en matières de religion, de philosophie, de morale et même de politique, ne varient point, ou du moins elles ne se modifient qu'après un travail caché et souvent insensible ; les plus grossiers préjugés eux-mêmes ne s'effacent qu'avec une lenteur inconcevable au milieu de ces frottements mille fois répétés des choses et des hommes.

J'entends dire qu'il est dans la nature et dans les habitudes des démocraties de changer à tout moment de sentiments et de pensée. Cela peut être vrai de petites nations démocratiques, comme celles de l'antiquité qu'on réunissait tout entières sur une place publique et qu'on agitait ensuite au gré d'un orateur. Je n'ai rien vu de semblable dans le sein du grand peuple démocratique qui occupe les rivages opposés de notre Océan. Ce qui m'a frappé aux États-Unis, c'est la peine qu'on éprouve à désabuser la majorité d'une idée qu'elle a conçue et de la détacher d'un homme qu'elle adopte. Les écrits ni les discours ne sauraient guère y réussir ; l'expérience seule en vient à bout ; quelquefois encore faut-il qu'elle se répète.

Cela étonne au premier abord ; un examen plus attentif l'explique.

Je ne crois pas qu'il soit aussi facile qu'on l'imagine de déraciner les préjugés d'un peuple démocratique ; de changer