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moins que tous les autres des intérêts et des jugements de l'avenir : le moment actuel les occupe seul et les absorbe. Ils achèvent rapidement beaucoup d'entreprises, plutôt qu'ils n'élèvent quelques monuments très-durables ; ils aiment le succès bien plus que la gloire. Ce qu'ils demandent surtout des hommes, c'est l'obéissance. Ce qu'ils veulent avant tout, c'est l'empire. Leurs mœurs sont presque toujours restées moins hautes que leur condition ; ce qui fait qu'ils transportent très-souvent dans une fortune extraordinaire des goûts très-vulgaires, et qu'ils semblent ne s'être élevés au souverain pouvoir que pour se procurer plus aisément de petits et grossiers plaisirs.

Je crois que de nos jours il est fort nécessaire d'épurer, de régler et de proportionner le sentiment de l'ambition, mais qu'il serait très-dangereux de vouloir l'appauvrir, et le comprimer outre mesure. Il faut tâcher de lui poser d'avance des bornes extrêmes, qu'on ne lui permettra jamais de franchir ; mais on doit se garder de trop gêner son essor dans l'intérieur des limites permises.

J'avoue que je redoute bien moins pour les sociétés démocratiques, l'audace que la médiocrité des désirs ; ce qui me semble le plus à craindre, c'est que, au milieu des petites occupations incessantes de la vie privée, l'ambition ne perde son élan et sa grandeur ; que les passions humaines ne s'y apaisent, et ne s'y abaissent en même temps ; de sorte que chaque jour l'allure du corps social devienne plus tranquille et moins haute.

Je pense donc que les chefs de ces sociétés nouvelles auraient tort